Incroyable pourtant c' est vrai ca c' est passé de 1941 à 1983

Incroyable pourtant c' est vrai ca c' est passé de 1941 à 1983

Express édition suisse no 3236 du 10 juillet 2013


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Suisse: le scandale des enfants parias

Par notre envoyé spécial . Reportage photo: , publié le

Durant des décennies, jusque dans les années 1980, des milliers de jeunes Suisses ont été jetés en prison sans procédure judiciaire, placés de force dans des familles d'accueil ou en maison de rééducation, stérilisés... Leur crime ? Une conduite jugée menaçante par une société éprise d'ordre et de conformisme. Ils sont les victimes d'une politique sur laquelle la Confédération commence à peine à briser le silence. 

Suisse: le scandale des enfants parias

 

SUISSE- Philippe Frioud a été placé dans un foyer d'éducation à l'âge de 17 ans.

 

JPGuilloteau/L'Express

Dans son appartement cossu, le long des rues calmes du Zurichberg, la colline huppée de Zurich, Ursula Müller-Biondi sourit en regardant ses photos de jeunesse. Sur les images en noir et blanc, une fille de 17 ans prend la pose, gaie, les yeux gris clair et le sourire innocent. De sa terrasse inondée de soleil avec sa vue splendide sur le lac immobile, cette femme élégante et coquette contemple sa jeunesse d'avant le 21 avril 1967, ce jour funeste où deux policiers l'ont menée en prison, menottes aux poignets. Sans ménagement, sans procès, sans jugement, sans recours, sans motif, et sans rien y comprendre. 

Son "crime" ? Avoir pris la clef des champs, enceinte, avec un homme divorcé, de sept ans son aîné, alors qu'elle était mineure. Comme les Beatles, qu'elle écoutait sur Radio Luxembourg, "Uschi" voulait crier Twist and Shout, rêvait de se couper la frange, s'imaginait dessinatrice de mode et non couturière, comme le souhaitait son tailleur de père, un Italien sévère. Lui ne craignait qu'une chose : que le comportement de sa fille l'empêche d'obtenir sa naturalisation. 

Pour échapper à son destin, le jeune couple prend alors la fuite, porté par la légèreté du temps et sa soif de liberté. Mais la police les rattrape. "Les services sociaux ont conseillé à ma mère, un peu perdue, de me placer dans une ''maison de rééducation'', se souvient Ursula. Elle a donné son accord, croyant me protéger, sans se douter qu'elle venait de m'envoyer en enfer, dans la prison pour femmes la plus sinistre du pays, Hindelbank. Seule la couleur de l'uniforme me distinguait des criminelles." 

Mères célibataires, indigents, alcooliques, prostituées ou "déficients mentaux"

Entre 1942 et le début des années 1980, des milliers de Suisses ont été internés par décision administrative, comme Ursula. D'autres ont été "placés" de force dans des familles d'accueil, ou ont subi des stérilisations chirurgicales. Mères célibataires, indigents, alcooliques, prostituées ou "déficients mentaux", tous ont été victimes d'une société bien-pensante et conservatrice, qui prétendait les aider en les tenant à l'écart d'une collectivité prête à tout pour se préserver. Durant des décennies, dans ce pays auquel le culte du secret a si longtemps réussi, les uns et les autres ont gardé le silence. Ces temps-ci, enfin, ces victimes venues d'horizons divers se découvrent un destin commun. Et demandent la parole. 

"Les cinq premiers mois ont failli me coûter la vie", lâche Ursula, les yeux brouillés. La fouille au corps, le travail forcé à longueur de journée, la promiscuité avec les meurtrières, les suicides, les mutilations, les traces de sang et d'urine sur le sol... Les images sont là, toujours présentes. L'air lui manque pour raconter la suite, à l'hôpital de Berne : "Je ne vois que ses petites fesses... je ne sais pas si c'est un garçon ou une fille... je l'entends crier... puis on l'emporte à l'extérieur de la salle où l'on me laisse seule, souffle-t-elle. Sur la table, près du lit, j'aperçois une petite feuille de papier... ''Ne pas montrer l'enfant à la mère : adoption.'' Puis... le voile noir." 

Lorsqu'elle se réveille, entourée d'autres parturientes, une infirmière lui bande les seins, pour arrêter la montée de lait. La jeune maman hurle si fort qu'on finit par lui rendre son enfant, un garçon. "Il y avait trop de témoins, croit-elle deviner. Si j'avais été seule, je ne l'aurais jamais revu." Suivent dix jours de bonheur. "Naïve, je pensais prendre mon fils avec moi à la prison, mais le médecin-chef, un homme froid et brutal, m'en a empêchée, raconte Ursula, en sanglots. Il l'a serré dans ses bras [elle mime le geste]. Là, je l'ai entendu murmurer à son oreille minuscule : ''Maintenant, dis adieu à ta maman.'' De retour dans ma cellule, je marchais comme un robot." Si elle n'avait pas cherché à se suicider, explique Ursula, elle ne l'aurait jamais récupéré trois mois plus tard. 

Ce matin lumineux, la sexagénaire sourit à nouveau en regardant les photos de ses petits-enfants - des bambins de 7, 3 et 2 ans. C'est pour eux que cette ancienne formatrice, qui a travaillé pour les Nations unies, la Banque mondiale et le Bureau international du travail, se bat désormais au sein de l'association des Internés administratifs de Suisse. Et pour toutes les autres victimes de placements et de "mesures de coercition" auxquelles la Confédération a présenté des excuses publiques et demandé pardon à deux reprises : en 2010, devant les grilles de Hindelbank, puis le 11 avril dernier, à Berne, siège du palais fédéral. La conseillère fédérale (ministre de la Justice), Simonetta Sommaruga, a condamné la "cruauté" et la "violation de la dignité humaine" de l'époque, et installé un délégué chargé de mener une étude historique, juridique et financière. La première table ronde avec les victimes s'est déroulée le 13 juin. Un projet de loi de réhabilitation morale des internés administratifs est en discussion au Parlement. Cela risque de ne pas suffire. Beaucoup réclament le versement d'indemnités

Après plus de trois décennies de mutisme, Ursula Biondi a brisé les chaînes de sa souffrance en 2002, dans un livre passé inaperçu lors de sa publication, Geboren in Zürich (Née à Zurich). Seule une âme charitable de son quartier lui a glissé, en passant : "Tais-toi ! Tu trahis ton pays"... Six ans plus tard, Dominique Strebel, journaliste et écrivain, relate enfin son histoire, preuves à l'appui, dans le magazine Beobachter, avec un appel à témoins. A présent, partagée entre honte et incrédulité, la Suisse n'en finit pas de redécouvrir les heures sombres de son histoire sociale. 

Jusque dans les années 1980, des femmes sont jetées en prison, coupables d'être enceintes sans être mariées, comme Ursula. D'autres, accusées de "mauvaises moeurs" ou d'une "mauvaise conduite", comme Ivana, sont dénoncées par une voisine à cause d'un Playboy aperçu sur le guéridon du salon : le magazine pouvait être feuilleté par sa fille... D'autres encore croupissent derrière les barreaux car elles s'enfuient trop souvent de leur internat, comme Marianne, à Lausanne : "Je ne pensais pas qu'on enfermait les gens en prison pour des fugues, soupire-t-elle d'une voix lente. Ce n'était pas ma place." 

De futures mères, déclarées "débiles", "infantiles" ou "déficientes" sur le plan affectif, comme Bernadette, à Altstätten, sont contraintes à avorter avant d'être stérilisées contre leur volonté. Des hommes, aussi, sont castrés. Et des enfants sont soustraits à leurs parents, comme Giulia (le prénom a été changé, ndlr), placée de force par sa commune dans une famille de paysans car elle est née (en 1962), d'une mère célibataire. D'autres, enfin, abandonnés à l'orphelinat, atterrissent dans des foyers religieux où ils sont abusés par des curés. 

Jean-Louis Claude, 71 ans, regard clair, sourire malicieux et un genou en vrac, a tenu à nous rencontrer sur les lieux d'une exposition itinérante qui retrace l'histoire des enfants placés. Il y a plusieurs années, lorsque cet orphelin a témoigné à l'Ecole d'études sociales et pédagogiques de Lausanne, une gamine lui a demandé : "Après tout ce que vous avez vécu, vous pouvez encore rire ?" La nuit suivante, les rats sont revenus ; Jean-Louis s'est réveillé au pied de son lit après un roulé-boulé de plusieurs mètres, rendu fou par la peur : "Les rats couraient sur moi, comme à l'époque où je dormais sur des sacs de son, à côté de la porcherie de mes ''maîtres''. La journée, pour m'empêcher de m'enfuir, ces fermiers m'attachaient, souvent nu, aux machines agricoles. C'est mon instituteur, en voyant mon état, qui m'a sauvé." Un répit de courte durée. 

En 1953, il est placé à l'Institut Marini, à Montet. Son séjour le marque à jamais. Après une vie passée à se taire, il a tout lâché, le 7 octobre 2010, aux deux soeurs de la commission SOS-Prévention de l'évêché de Fribourg. Il leur a dit, avec son verbe cru et imagé, les viols à répétition par les surveillants mais aussi par le directeur. "Je faisais de la gymnastique avec lui, leur a-t-il raconté. Une gym particulière. J'entrais dans sa chambre, il me disait : ''Déshabille-toi'', et mettait ma tête sur ses couilles. J'avais 11 ans." Il a aussi évoqué l'abbé R., une "saloperie". "Avant d'aller servir la messe, je devais d'abord passer par son plumard." Un an et demi plus tard, il reçoit un courrier de l'évêque de Fribourg, Charles Morerod : "J'ai lu le compte rendu de vos entretiens avec la commission SOS-Prévention, écrit le prélat. D'après ce que j'en comprends, il n'est aujourd'hui possible de prouver aucun fait, mais je vois la sincérité de votre souffrance, qui me fait souffrir en retour." 

Alors, avec toute la force de sa colère, Jean-Louis a pris la parole lors de la cérémonie du 11 avril, à Berne, en présence des autorités politiques, sociales, paysannes et religieuses. "Quand une dizaine d'adultes, dont de nombreux prêtres, ont abusé de vous et que l'on ne reconnaît pas les faits, il y a de quoi s'insurger", assène-t-il en exigeant l'ouverture des archives diocésaines. Plus de 700 victimes l'ont écouté, bouleversées, raconter sa blessure intime. Beaucoup d'entre elles hésitent à se confier, même à leur propre famille. D'autres se sont suicidées. 

Bernadette Gächter rêvait d'avoir des enfants. Cette femme douce de 59 ans a pris sa journée et parcouru deux heures en train pour nous retrouver à l'heure du café. Orpheline, elle a grandi dans une famille d'accueil très croyante et persuadée que la petite fille souffrait d'un manque congénital d'affection. "Petite, mes parents nourriciers m'ont emmenée chez le psy, où un simple assistant a diagnostiqué chez moi un cerveau infantile, confie-t-elle. Un déficit. Toute ma vie, j'ai vécu cela comme un stigmate." Employée depuis trente-cinq ans dans la même entreprise, où elle exerce des responsabilités, Bernadette, comme beaucoup de ses compagnons d'infortune, évite désormais les cabinets des psys, ses anciens bourreaux. Sa thérapie à elle, c'est d'avoir écrit un livre-témoignage. Et de raconter son passé, quand elle en a la force, à ceux qui sont prêts à l'écouter. Derrière ses lunettes noires, elle entend encore, dit-elle, dans le petit cabinet du médecin de famille, sa mère la convaincre d'avorter : "Tu es d'accord pour ne pas mettre au monde un enfant qui a les mêmes tares que toi ?" Elle raconte, d'une voix blanche, le rendez-vous à la clinique psychiatrique de Wil, les câbles sur la tête et dans les narines pour tester son cerveau, la grande table ovale entourée d'hommes en blouse blanche, "comme des tarentules au-dessus de moi". Une semaine plus tard, à l'hôpital cantonal de Saint-Gall, c'était fait. Pour de bon. Car Bernadette a aussi été stérilisée. "J'ai su, vingt ans plus tard, en consultant mon dossier, que c'était le médecin de famille qui l'avait conseillé." Elle a essayé d'avoir des enfants avec son mari. "Les ''chirurgiens'' m'ont détruite, souffle-t-elle. J'ai dû être réopérée à sept ou huit reprises, la dernière en novembre 2012. Cette histoire ne se terminera jamais." 

Combien de destins ont été ainsi volés ? Des milliers ? Des dizaines de milliers ? Nul ne le sait. Car nombre de dossiers ont été détruits - ou déclarés tels - par les autorités cantonales. Une commission d'historiens, mise en place par Hansruedi Stadler, le délégué nommé par la ministre de la Justice, doit tenter de faire la lumière sur ces drames restés dans l'ombre. Seul chiffre connu : 2 700 personnes ont été détenues dans le canton de Berne entre 1942 et 1981, date de l'entrée en vigueur de la loi modifiant les "dispositions de privation de liberté à des fins d'assistance". Celle-ci a été adoptée trois ans plus tôt, après la signature par la Suisse de la Convention européenne des droits de l'homme... en 1974. Pendant ces sept années de palabres institutionnelles, les autorités ont continué à enfermer des innocents, en violation de l'article 5 de la Convention. 

"Il fallait être sage, sain, propre, respectueux...", explique le journaliste Dominique Strebel

"C'est un mythe de la Suisse qui s'effondre : celui d'un pays correct avec une histoire parfaite, intouchable", reconnaît Jacqueline Fehr, députée sociale-démocrate à l'origine des excuses fédérales. En 1977, dans Mars, un récit autobiographique, Fritz Zorn avait déjà lézardé cette façade : "Le monde où je grandissais devait ne pas être un monde imparfait. [...] Son harmonie et sa perfection étaient obligatoires." 

"Les internements, les placements et tout ce système répressif ont été mis en oeuvre à une époque où les aides sociales n'existaient pas encore, explique le journaliste Dominique Strebel. La société ne voulait pas payer. Alors on a laissé aux notables, qui ne bénéficiaient d'aucune formation, le soin d'écarter ceux qui dérangeaient l'ordre établi selon des normes sévères et des notions morales, chrétiennes ou bourgeoises. Il fallait être sage, sain, propre, respectueux... Dans l'imaginaire collectif, les pauvres étaient toujours sur le point de devenir criminels, puisqu'ils n'avaient pas d'argent. La fainéantise, une tare héréditaire pour certains, ne devait pas se reproduire. Les femmes, elles, étaient souvent stigmatisées pour des motifs sexuels. Comme elles ne représentaient que 10 % des internés, les autorités n'ont pas jugé bon de construire des établissements spécifiques et les ont enfermées avec les criminelles !" 

D'autres pays, telles l'Allemagne, l'Australie ou la Suède, ont dû affronter les victimes de leur politique eugéniste. En Suisse, toutefois, la prise de conscience est d'autant plus douloureuse que l'ensemble du système reposait sur les citoyens eux-mêmes, conformément à la tradition démocratique nationale. Selon l'organisation en milices, propre à la Confédération, les commissions des affaires sociales, qui dépendaient des communes, ont longtemps été constituées d'habitants au-dessus de tout soupçon et réputés proches de la population : le maire, l'instituteur, le pasteur ou le curé, le commerçant... "Ces ''honnêtes gens'' pensaient souvent faire le bien des autres, dans la veine de la philanthropie de la fin du xixe siècle, souligne l'historien Pierre Avvanzino. Ils voulaient socialiser les déshérités et les transformer en travailleurs dociles, tandis que les récalcitrants étaient envoyés dans des maisons de correction." Thomas Huonker, un autre historien, spécialiste des Yéniches, des gens du voyage, partage son analyse : "Ces institutions de type carcéral ont été créées pour dompter les classes dites ''dangereuses'', explique-t-il. Pendant très longtemps, les cantons suisses ont possédé une police des pauvres. Leurs enfants ont été vendus aux enchères, sur la place publique, jusque dans les années 1920. Le malthusianisme a conduit à l'eugénisme : beaucoup de sains d'esprit, jugés asociaux, ont été déclarés handicapés mentaux." 

Sur le plateau de la montagne de Diesse, aux couleurs de carte postale, des vaches jurassiennes paissent autour du foyer d'éducation de Prêles. Mais, avec son regard voilé, un peu lointain, Philippe Frioud ne voit qu'un arbre. Et deux fantômes. "Là, deux jeunes se sont suicidés, je les vois tournoyer dans le vent", lâche l'homme, âgé de 63 ans, en grillant une énième cigarette. Lui reviennent aussi les coups de ceinture dans le "bureau des tabassés", le sol gelé du cachot et les cellules trop petites, avec leur vue sur la montagne barrée par des tiges de fer. 

A cause d'un père alcoolique et d'une mère "fragile", le jeune Frioud a grimpé tous les étages des établissements "spécialisés" : pension, maison, foyer. A 13 ans, pour une histoire de lingerie piquée sur un étendage, un juge l'envoie dans un institut spécialisé avec un suivi psychiatrique. Le texte du jugement en dit sans doute plus long sur le magistrat que sur le prévenu : "Il est reconnu coupable de vol sans que l'on sache bien ce qu'il voulait faire de cette lingerie féminine ainsi volée, s'interroge le magistrat. Voulait-il la vendre, se masquer, ou satisfaisait-il à d'autres instincts ?" Une lecture freudienne corroborée par un médecin qui décèle une "évolution psychotique probable". 

Pour ce chapardage, le gamin paiera une deuxième fois : le 13 novembre 1967, alors qu'il a 17 ans, quand un autre magistrat, s'appuyant sur le rapport d'une assistante sociale, expédie à Diesse le jeune homme : "Il s'agit de maintenir pour le jeune Frioud adolescent la décision prise à son égard lorsqu'il était un enfant." Et ce, "tout le temps nécessaire à son éducation, mais un an au moins". La phrase est soulignée d'un trait gras. 

La confrontation avec ce passé enfoui s'annonce longue et compliquée

Dans la chambre vide, que la direction a bien voulu lui rouvrir ce matin de juin, Frioud regarde au loin à travers les barreaux. "J'ai réalisé l'inverse de ce qu'on voulait faire de moi, confie-t-il. Je suis devenu architecte. C'est ma victoire." Pour le reste, la liberté volée et les coups de ceinturon reçus, il a engagé un avocat afin d'attaquer la Confédération pour crimes contre l'humanité devant la Cour pénale internationale. "Les autorités ont commis des fautes, admet Ursula Muther, directrice du foyer. A l'époque, on ne portait pas le même regard sur l'éducation. Cela n'excuse rien, bien sûr. Certains, d'ailleurs, ont réussi malgré les conditions strictes." Le 3 juillet, l'ancien interné a témoigné auprès des personnels dans le cadre de la formation continue. Ursula Muther insiste : "Qu'ils gardent toujours à l'esprit ce qu'est le respect." 

Pour la Suisse et ses 8 millions d'habitants, la confrontation avec ce passé enfoui s'annonce longue et compliquée, tant les faits eux-mêmes restent méconnus. Ainsi les internements administratifs sont en principe abandonnés depuis 1981. Pourtant, L'Express a rencontré une femme internée après cette date. Graziella Salvi, 49 ans, habite un quartier populaire de Berne. Epaisse chevelure noire, sweat et pantalon de la même couleur, piercing au sourcil et diams dans une narine. "Toute petite déjà, j'étais le canard noir de la famille", relève cette ancienne pensionnaire de Hindelbank. "J'y suis entrée le jour de mes 19 ans, le 27 juillet 1983", se souvient-elle. Soit plus de deux ans après l'entrée en vigueur de la nouvelle législation. "Si un canton n'applique pas la loi fédérale, rien ne peut l'y forcer, se désole Jacqueline Fehr. Il a pu y avoir du retard dans les cantons les plus conservateurs." 

Quelle faute Graziella a-t-elle commise ? Multiplier les fugues de la clinique psychiatrique de Coire, chef-lieu du canton des Grisons, à la frontière du Liechtenstein, où elle avait été placée par les services sociaux, en 1981, pour échapper à ses parents violents. Plusieurs fois, elle a été prise en train de chiper des vêtements. Selon le rapport de la clinique, les médecins n'étaient pas favorables à une mesure d'emprisonnement. L'autorité de tutelle a pourtant incarcéré la jeune femme "pour une durée indéterminée". Graziella ne comprend toujours pas pourquoi : "Les criminelles connaissaient leur date de sortie, pas moi !" Pour les dix mois qu'elle a passés sous les verrous, elle a dû régler à l'administration pénitentiaire 7 500 francs suisses, soit 6 100 euros, malgré son petit salaire de vendeuse. "Je n'ai jamais contracté de dette, dit-elle, pas même 5 francs. J'ai toujours peur qu'on trouve un prétexte pour m'y remettre." 

Ursula, Marianne, Bernadette, Graziella... Toutes ces femmes ont été diagnostiquées, expertisées ou opérées par un médecin ou un psychiatre. "La société a cherché des justifications scientifiques d'experts afin de résoudre des problèmes auxquels elle ne savait pas répondre", remarque Jean-Claude Métraux, pédopsychiatre à Lausanne. Et l'approche n'a pas tellement changé, selon lui : "Je m'occupe d'enfants de migrants. Si un parent albanais ou congolais est plus sévère à l'égard de ses mômes, cela peut être perçu comme un ''déficit parental'' justifiant un placement en foyer. Le langage est toujours le même : ''à des fins d'assistance'', on prend des mesures radicales pour éloigner l'autre. Parce que sa différence est perçue comme un déficit." 

"Il n'est pas sûr que les autorités aient saisi l'ampleur et la profondeur des traumatismes", s'inquiète Jacqueline Fehr. Car de nouveaux groupes sortent peu à peu du silence. Après les enfants placés chez les paysans et ceux confiés à des foyers, les détenus administratifs, les victimes de stérilisation et les anciens adoptés de force se font maintenant entendre, rejoints par des parents à la recherche de leur enfant. "J'entends dire que des internés ont aussi servi de cobayes pour des médicaments", s'inquiète Ursula Biondi. A Berne, lors de la cérémonie d'excuses, aucun représentant officiel du corps médical n'était présent. 

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